mardi 20 mars 2007

La Cigale 2


La tête enfoncée dans les épaules,
un silence pour compagnie,
La Cigale se mit en marche
pour trouver un abri
de fortune
avant de finir
en statue de glace
et devenir
un martyre éphémère
au coeur de Nature.
Elle se mit à imaginer un éventuel "spectacteur" qui la trouverait sur son chemin et contemplerait ce spectacle si affreux. Quelle position devrait-elle prendre pour ne pas choquer d'éventuelles âmes sensibles ou trop jeunes. Devrait-elle se recroqueviller dans la position du foetus pour souligner le retour de tout être vivant dans la matrice originelle, ou bien rester debout dans une attitude de révolte avec, par exemple, un poing levé vers le ciel et les cheveux au vent ?
- "Oui des cheveux longs et légers...
comme la continuité de mon indépendance
et d'un pied de nez aux lourdeurs
d'une nature trop rigide..."
Ce serait bien ...!"
Cette idée lui donna un léger sourire, avec des accents d'une certaine jovialité, toujours aussi présente en son for intérieur.
Comme une bouée de sauvetage au milieu d'un naufrage
dans les eaux de la fatalité
ou une source d'eau fraîche,
dans les déserts de l'incompréhension...
Le côté aux intonations surréalistes et symboliques de ses pensées lui redoubla cette vague de fraîcheur venue d'un optimisme inné. Ce qui l'amena à une franche rigolade en revisitant ses idées quelque peu loufoques.
Ou peut-être pas...
Néanmoins, son rire emplit son espace environnant et donna à la nature un air joyeux.
- "Je serai une authentique statue vivante" improvisa-t-elle "heu non... une nature morte... ou un symbole vivant..."
Elle se mit à virevolter et à faire danser ses mains dans le vide, leur donnant la forme de quelques vagues.
-"Ah..." souffla-t-elle "Il faut que je garde ces idées pour plus tard" et elle s'arrêta de valser pour se figer en béatitude tout en contemplation devant l'univers heureux.
Elle ne put s'empêcher de frissonner en ressentant une brise glaciale lui chatouiller les os. Ce qui la sortit d'une relative torpeur introspective pour regarder le vol plané d'une énorme page de livre venir se poser à ses pieds. Elle se baissa pour la ramasser, ce qui lui arracha un petit cri pour cause articulaire, et contempla cet oiseau bien étrange. Le vent reprit de son ouvrage pour faire battre à nouveau les ailes de cet oiseau improvisé et le fit virevolter autour de se tête, pour se poser presque délicatement sur les épaules de La Cigale. Elle prit cet oiseau farceur à deux mains et y lu le titre et l'auteur : "Le Contrat Social de Jean-Jacques ROUSSEAU". Elle haussa les épaules et profita de cette aubaine pour s'envelopper avec la page pour se réchauffer et s'abriter un peu du vent.
-"Je n'ai peut-être pas tant de malchance que ça !" se consola-t-elle en improvisant un col monté autour de son cou avec son manteau de fortune.
"Le Contrat..." lui revint en écho sur le champ de ses pensées.
Après une larme de silence dans son chant mental, elle se remit à parler/chanter à voix haute.
- "Un contrat social entre tous les habitants de notre planète. Qu'ils soient cigales ou fourmis, mouches ou roseaux, chênes ou ânes, chiens ou mygales, voilà ce qu'il nous faut. Un contrat qui indique nos droits et nos devoirs..." sa voix se fit en crescendo "... et qui éliminerrait toutes les injustices de ce monde entre les plus faibles et les plus forts". Sa voix s'emporta dans un chant aux teintes métalleuses et sauvages, tout en restant chargée d'espoir.
-"Un contrat qui définira le bon sens et la valeur du travail de l'esprit et de celui du ventre pour que quiconque sache ce qu'il apporte à la société et que les fourmis sachent enfin ce que c'est que le travail des fabricants de rêves et des affres de la création."
Tout en marchant à contre vent, elle trébucha sur un pavé, en pleine nature, caché sous la neige. Elle se prit d'un accès de rage contre ce fauteur de troubles aux aguets des pauvres pieds innocents, pour le pulvériser de toute sa voix. Elle fit appel à tous les cris de la nature qui implorent le secours devant les plus grands dangers, pour les muer en haches de haine pour détruire cet intrus dans sa réflexion purement humaniste.
Mais elle fut stoppée net dans son élan en voyant qu'en fait de pavé, ce n'était qu'un livre.
Son escalade de violence tomba aux oubliettes en un rien, laissant notre Cigale guerrière haletante devant ce coupable, somme toute, innocent.
-"Eh bé, qu'est-ce que tu fais là mon pauvre vieux ?" demanda-t-elle au livre, "toi aussi on t'a abandonné ?"
Quelle ne fut pas sa surprise en constatant que c'était justement le livre auquel une page fut arrachée et qui vint lui servir de manteau improvisé. Le Contrat Social. Le livre en son entier, plus le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes.
-"Quelle joie !" s'écria-t-elle "... et quel malheur de te trouver ainsi sur mon chemin."
Sa fougue passée, elle eut le temps de constater tout en feuilletant les pages humides de son trésor, que sa montée d'adrénaline et de colère lui avait apporté un certain gain d'énergie et de courage. Elle sentit ce fluide se dissoudre de l'intérieur dans tous ses membres réfrigérés. Elle continua à parcourir les pages au hasard et lu par ci par là quelques bribes de phrases :
Si c'était ici le lieu d'entrer en détails, j'expliquerais facilement comment l'inégalité de crédit et d'autorité devient inévitable entre les particuliers sitô que réunis en une même société ils sont forcés de se comparer entre eux et de tenir compte des différences qu'ils trouvent dans l'usage continuel qu'ils ont à faire les uns des autres.

-"Inévitable" s'écria-t-elle, et ce mot se mit à lui marteler l'esprit. Elle se mit à tourner les pages quelque peu nerveusement et à lire de-ci de-là des phrases au hasard, espérant trouver un bon filon qui lui parle directement. Des mots des sous-titres se détachèrent de cet amas ; Politique, République, Droit naturel, Souveraineté. Elle soupira en relevant la tête et s'exclama presque à contre coeur.
-"Je suis bien loin de mes gammes et de mes études. J'étais si bien si seul dans mon élément. J'ai l'impression d'avoir besoin de toute une vie pour assimiler tout ce qui est écrit là dedans. Il y a des phrases que je ne comprends qu'à moitié et d'autres pas du tout et..." frissonnant à nouveau "...ça ne va pas me donner à manger dans l'immédiat, là, tout de suite." Un désespoir la prit au ventre qui lui arracha un long gémissement aigu aux allures de castra. Un blues lui emplit l'esprit, transformant son râle aigu en pentatoniques aux accents électriques.
Elle s'aperçut du fond des ses tempêtes de l'esprit qu'un journal entier se débattait aux vents, accroché aux branches d'un peuplier comme un étendard faisant fit du vent.
Elle se démêla un peu pour décrocher ce curieux drapeau.
-"Mais c'est pas possible !" dit-elle en secouant un peu le journal, "...ils vont polluer toute la forêt avec leurs journaux !?" Elle regarda le nom du journal en haut de page : "RESISTANCES Le Journal du refus de la misère", et en plus petit : n°3 - Journal gratuit édité par ATD Quart monde 17 octobre 2006 . Ne peut être vendu. Et en gros titre :"CONTRE L'EXCLUSION - JUSTICE ET FRATERNITE". Elle lut le tout début :
Jérome a connu la faim, les logements insalubres, les menaces de placement de ses enfants. Aujourd'hui, il soutient des familles pour leur permettre d'accéder au logement. En lisant ce passage, son sang ne fit qu'un tour.
-"Que vont devenir mes enfants ? Mes petits cigaloux et ma Dame Cigale ?" Ils commencent à peine à frétiller leurs chansonnettes que leur avenir est déja compromis." Une larme pointa son nez dans le creux de l'oeil pour se voir aussitôt refoulée.
-"Bon !... Reprenons nos esprits... Ce n'est pas le moment de flancher." Une petite citation en milieu de page accrocha son ragard :
LA RESISTANCE NAIT DE L'INACCEPTABLE et puis, juste à côté dans la continuité du texte :
... refuser la misère et établir une société des droits de l'homme reste un projet urgent et moderne.
Une question en apparence hors sujet surgit comme ça, comme venant de nulle part.
-"Octobre 2006 ? Encore ces indications étranges..." Pourtant je connais les chiffres. Donc je peux conclure que 2006 se trouve après 1668. Mais Octobre ça représente quoi ? Si seulement je pouvais avoir un dictionnaire à portée de main !"
Elle haussa les épaules, prit les deux livres, les fourra dans son baluchon et se fit un chapeau avec le journal en faisant deux petits trous pour laisser passer ses antennes.
-"Je verrai ça plus tard.", puis elle reprit son chemin en méditant à nouveau et de ce silence lui arriva une évidence:
-"Cette nouille prétentieuse n'a eu aucune pitié envers moi !" En disant ça, elle se souvint d'un passage du Discours :
-"En effet , qu'est-ce que la générosité, la clémence, l'humanité, sinon la pitié appliquée aux faibles, aux coupables ou à l'espèce en général ? La bienveillance et l'amitié même sont des productions d'une pitié constante, fixée sur un objet particulier, car désirer que quelqu'un ne souffre point, qu'est-ce autre chose que désirer qu'il soit heureux ?"
-"Quand je pense que je n'ai jamais voulu que l'on ai pitié de moi." Et elle se mit à jazzer un refrain :
Les mots des maux
Les maux des mots
Des mots démodés